La révélation du Service de sécurité nationale (NSS) de l’Arménie concernant la tentative de coup d’État avortée pourrait naturellement amener un citoyen ordinaire à se demander : pourquoi certaines parties intéressées (en particulier des forces étrangères) souhaitent-elles un changement de gouvernement en Arménie avant terme ? Et pourquoi ont-elles tenté et échoué à plusieurs reprises, s’exposant ainsi au ridicule ? La question la plus importante est la suivante : quelle est la motivation principale, la raison ou le déclencheur de ce désir de changement de gouvernement ?
Cette question est cruciale pour comprendre correctement la logique derrière ce souhait de « changement ». L’objectif est-il de mettre au pouvoir une nouvelle personnalité « charmante et sympathique », un « Superman » qui élèvera la démocratie arménienne à un niveau supérieur, mènera une politique étrangère plus habile et équilibrée, neutralisera les menaces extérieures, et offrira aux citoyens une vie idyllique et une éternelle félicité ? Ou s’agit-il plutôt de changer le gouvernement pour le pire, c’est-à-dire pour exécuter les demandes et exigences que le gouvernement actuel refuse d’accepter dans l’intérêt de l’État ?
Il est donc très important de comprendre la raison profonde derrière ce souhait de changement de pouvoir et de la décrypter correctement. Une fois cette décryption faite, les réponses aux autres questions deviendront évidentes.
D’après nos impressions, renforcées par les développements survenus ces dernières années post-révolution, y compris la guerre de 44 jours, ce désir de changement de pouvoir ne relève pas simplement d’un caprice politique visant à ramener au pouvoir des figures rejetées par le peuple arménien, issus de l’ancien régime corrompu et autoritaire, dirigé par les anciens présidents arméniens.
Ils ne sont que des candidats, et leur retour au pouvoir n’est pas pour leurs beaux yeux, mais pour accomplir une mission bien précise : aider à obtenir ce que l’on attend d’un changement de gouvernement : un régime non démocratique, corrompu comme avant, faible, dépendant et ayant besoin d’une tutelle extérieure, une entité avec une souveraineté simulée (difficile à appeler un véritable État), qui aurait une fonction périphérique, un « gouverneur » désigné, et qui exécuterait les ordres de son tuteur, en faisant ceci, ceci et cela, tout en s’abstenant de faire ceci, ceci et cela… En conséquence, cet État serait « rassasié » et « bien protégé ».
En d’autres termes, l’objectif du changement de pouvoir dans ce cas est de s’opposer au principe fondamental de la notion de « pouvoir » : la souveraineté, en amputant la première partie du mot « soi ».
Le statu quo établi dans le champ politique arménien est tel qu’il oblige les parties intéressées à priver l’Arménie de sa souveraineté, de sa démocratie et d’autres caractéristiques essentielles, en utilisant des figures bien connues comme outils pour atteindre leur but. Bien qu’ils soient usés et rejetés, ils n’ont pas perdu leur fonctionnalité, c’est-à-dire qu’ils sont encore capables de rendre des services lorsqu’il s’agit de faire ou de ne pas faire certaines choses. (Nous n’avons aucun doute que si le champ politique arménien était plus diversifié et qu’il y avait d’autres acteurs capables de servir les objectifs de ceux qui aspirent à un coup d’État, ces autres acteurs seraient utilisés comme outils, qu’ils s’appellent Robert Kotcharian, Serzh Sargsyan, Galust Sahakyan, ou les « patriotes guerriers » qui se sont enfuis en Russie).
Ainsi, le pouvoir sera confié à ces figures bien connues, afin qu’ils puissent à leur tour « gentiment » remettre ce que souhaite obtenir celui qui les a portés au pouvoir. Par exemple, le « corridor de Zangezur », que le gouvernement actuel refuse obstinément de céder, affirmant qu’il ne le donnera jamais. Le gouvernement est prêt à débloquer toutes les communications de transport, mais pas au prix de la perte de souveraineté de l’Arménie sous une logique de « corridor ». Ou encore, en cas de déblocage des routes, confier leur contrôle au FSB russe, envoyer les observateurs européens installés à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan « au diable » et, si nécessaire, les remplacer par des observateurs de l’OTSC.
Relancer les relations politico-militaires avec cette alliance défunte, au lieu de lui dire « adieu pour toujours ». Et/ou, mettre fin aux rapprochements avec l’Occident, que certains appellent dans leur jargon des « flirts », et rester prisonniers de la volonté d’un seul centre géopolitique… En d’autres termes, se retrouver dans une situation qui implique de renoncer à diverses mesures d’auto-défense, de ne plus s’inquiéter des menaces extérieures, de ne plus réfléchir à la délimitation des frontières et de se contenter de frontières virtuelles et immatérielles, en comptant sur la présence militaire étrangère pour jouer le rôle de l’« oncle Rambo » et repousser ceux qui attaqueraient nos frontières intangibles.
Et lorsque viendra le moment d’acheter un produit fabriqué en France, il ne s’agira pas d’armes, mais de parfums ou de champagne. Il en va de même pour les produits indiens : s’il s’agit d’épices, vous pouvez en acheter autant que vous le souhaitez, au nom de Dieu.
En résumé, l’objectif de changer le gouvernement en Arménie, que ce soit par un coup d’État, du terrorisme ou d’autres méthodes coercitives ou douces, n’est pas contre Nikol Pashinyan, mais contre l’État arménien, contre l’ordre constitutionnel et les institutions, et contre la seule source de pouvoir : le peuple.
Si une autre personne était à la tête du gouvernement en ce moment, mais suivait la même politique, nous sommes convaincus que l’ombre du coup d’État continuerait de planer. (Nous ne pensons pas que les interventions extérieures visant à renverser Nikol Pashinyan depuis six ans soient dues à la forme de sa barbe, la couleur de ses yeux, ou à une aversion personnelle).
P.S. D’ailleurs, il y a quelques mois, lorsque le mouvement « Tavush for the Homeland » venait de démarrer, le Premier ministre Nikol Pashinyan avait énuméré, lors d’une conférence de presse, les partisans de ce mouvement de protestation : « des barons de la drogue et des criminels cachés dans des pays étrangers, qui, d’après les informations fiables dont je dispose, sont recrutés par des services secrets étrangers et sont au moins des agents d’influence de ces services, exécutant des missions spécifiques ».
Cette « mission spécifique », à en juger par les révélations du NSS, était l’usurpation du pouvoir, avec toutes les conséquences mentionnées ci-dessus.
Héghiné Manoukyan