Interview avec Jacques Raffy Papazian, président du Mouvement Arménien

En quatre semaines, nous avons obtenu 60 000 signatures, ce qui représente le plus grand mouvement démocratique d’Arménie depuis 2018. 

Les sondages précédents montrent d’ailleurs que 58% de la société arménienne se dit favorable à une intégration à l’Union européenne.

Arménie Info : Vous avez pris la présidence du Mouvement Arménien en février 2024. Quelles sont les premières priorités que vous avez fixées pour cette nouvelle période ?

Jacques Raffy Papazian : J’ai pris la présidence du Mouvement Arménien en février 2024 suite à des élections internes. Je remercie le président sortant, M. Rémy Makinadjian, pour le travail effectué lors du premier mandat. Nous avons décidé, lors de ce conseil d’administration, de mettre l’accent sur l’Union européenne, sur l’Arménie dans l’Union européenne. Pour ce fait, nous avons introduit avec les forces démocratiques d’Arménie pro-occidentales, d’Europe et des États-Unis la question du référendum d’intégration de l’Arménie à l’Union européenne. Nous travaillons de manière très rapprochée avec les forces démocratiques depuis le mois de février. En septembre dernier, j’ai pu me rendre en Arménie et rencontrer les forces démocratiques lors du lancement de la campagne de collecte de signatures pour ce référendum. En quatre semaines, nous avons obtenu 60 000 signatures, ce qui représente le plus grand mouvement démocratique d’Arménie depuis 2018. 

Les sondages précédents montrent d’ailleurs que cinquante-huit pour cent de la société arménienne se dit favorable à une intégration à l’Union européenne. Je suis fier d’y avoir contribué et j’espère que cette démarche, qui doit être débattue à l’Assemblée nationale arménienne, aboutira par un vote positif des députés et que ce référendum sera mis en place. C’est la grande réussite de l’année 2024 et ce début de mandat que je me félicite.

Arménie Info : Quels sont les principaux défis auxquels le Mouvement Arménien doit faire face dans le contexte actuel, notamment au sein de la diaspora ?

Jacques Raffy Papazian : Concernant les défis internes de la diaspora, nous faisons face aujourd’hui à plusieurs tendances. La première est une tendance traditionnelle, qui affiche un penchant pro-russe, une orientation que nous combattons fermement. Nous représentons, au contraire, les forces démocratiques, européennes et pro-occidentales.

Cependant, une nouvelle force émerge et s’avère extrêmement dangereuse. Il s’agit de ceux qui prônent une politique du “ni-ni” : ni avec la Russie, ni avec l’Occident. Cette position, selon moi, mènera l’Arménie à un véritable désastre. La nature a horreur du vide, et cette approche laissera la porte grande ouverte à la Turquie pour prendre le contrôle du Caucase. Cela conduira inévitablement à un second génocide pour le peuple arménien.

Je mets en garde ceux qui défendent cette tendance : ils doivent bien mesurer les conséquences d’une telle posture.

Il est important que le peuple arménien prenne une décision claire : soit rester dans la sphère d’influence russe, soit rejoindre la sphère d’influence occidentale. Nous défendons ardemment la deuxième option, qui implique de quitter toutes les alliances avec la Russie et d’établir une base américaine en Arménie. Ce projet doit être mise en œuvre pour garantir l’avenir de notre nation.

Arménie Info : Quelles sont, selon vous, les perspectives pour l’Arménie en 2025 et quels dangers le pays pourrait-il rencontrer ? Comment la diaspora peut-elle jouer un rôle dans la gestion de ces défis ?

Jacques Raffy Papazian : Avec les événements récents que nous avons pu constater, notamment dans les différentes diasporas, la situation de la diaspora d’Artsakh, qui a subi un nettoyage ethnique, celle du Liban qui souffre encore des conséquences de la guerre, et la diaspora de Syrie qui a également été marquée par des conflits, il est plus que jamais important de sortir des querelles internes.

La division interne de la diaspora est, en réalité, organisée par les ennemis de l’Arménie. En restant divisés, nous affaiblissons à la fois l’Arménie et sa diaspora. Si nous perdons l’État arménien, nous perdrons de facto la diaspora et tout ce qui en découle. Il est donc impératif de dialoguer, d’ouvrir la voie à des actions communes, même ponctuelles, en cas d’alerte d’état d’urgence.

Le véritable danger qui guette l’Arménie réside dans la possibilité d’une nouvelle escalade militaire. Il est fort probable que la prochaine étape soit une attaque coordonnée de l’Azerbaïdjan sur le sud de l’Arménie, en particulier la région du Syunik. Cette zone stratégique est particulièrement convoitée, et il est primordial de se préparer à ce scénario.

Malgré toutes les tendances au sein de la diaspora, nous avons un point commun : la sécurité et la préservation de l’État arménien. La diaspora doit être prête à soutenir l’Arménie dans cette lutte pour sa souveraineté et son indépendance, en unissant ses forces pour défendre ce qu’il y a de plus précieux : l’État arménien.

Nous restons prêts à réformer la diaspora. S’il doit y avoir des changements, il est essentiel que toutes les tendances s’accordent sur un système.

Arménie Info : Comment analysez-vous la situation de la diaspora arménienne et quelles sont les tensions existantes, notamment entre la Fédération révolutionnaire arménienne et le Conseil français arménien ?

Jacques Raffy Papazian : Ce conflit n’est pas nouveau, il dure maintenant depuis 2020. Il oppose des groupes et des visions qui ne sont pas forcément les nôtres. Nous ne sommes pas dans la tendance conservatrice, proche des partis traditionnels, et nous ne sommes pas membres de regroupements comme le Conseil français arménien. Certains avancent l’idée que ce groupe, qui est ou a l’intention de devenir une association de fait, repose sur un collectif formé à partir de réunions précédentes dont nous n’avons pas participé, lesquelles définiraient sa structure et ses objectifs. Cela se fera sans nous.

Nous restons prêts à réformer la diaspora. S’il doit y avoir des changements, il est essentiel que toutes les tendances s’accordent sur un système. Le seul modèle auquel nous accepterons de participer est un système démocratique basé sur des élections directes. Tout autre système sera rejeté, en ce qui nous concerne.

Vous savez, nous ne cherchons pas des places. Personnellement, j’ai déjà occupé de nombreuses fonctions, et ce qui reste à la fin, c’est le travail accompli. Je l’ai également dit lors du Sommet global de la diaspora : il ne suffit pas de dire que nous voulons faire de la coordination pour que cela devienne une réalité. Ceux qui sont en place ont déjà essayé, mais il suffit de regarder de près qui contrôle les écoles, les radios, les journaux et les centres culturels pour comprendre qu’une coordination véritablement effective est inutile, car chaque structure se débrouille seule, sans réel besoin d’un rôle centralisé.

Aujourd’hui, nous menons un travail quotidien au service des Arméniens de France, notamment avec Arménie Info, qui occupe une place centrale dans notre projet. Au Mouvement Arménien, nous avons une moyenne d’âge assez basse, et j’apprécie énormément ce rôle de conseiller et d’accompagnateur pour cette nouvelle génération. Ce sentiment est particulièrement agréable, car je ne l’avais pas trouvé dans les structures traditionnelles, où la division, les débats de bas niveau et l’absence de solidarité sont très présents, souvent dans une ambiance bénévole qui peut mener à un rejet du milieu communautaire. D’ailleurs, beaucoup nous rejoignent sur ce constat.

Arménie Info : Pour conclure, comment voyez-vous l’avenir de la diaspora et de l’Arménie face aux défis à venir ?

Jacques Raffy Papazian : En conclusion, la situation actuelle exige une unité totale au sein de la diaspora et un engagement sans faille pour l’avenir de l’Arménie. Nous sommes à un tournant historique, où les choix que nous ferons aujourd’hui détermineront non seulement le destin de l’Arménie, mais aussi celui de la diaspora. L’Arménie doit devenir forte, souveraine et ouverte à un avenir démocratique, européen, tout en maintenant son indépendance face aux menaces extérieures. La diaspora a un rôle primordial à jouer dans ce processus, en unissant ses forces autour de cet objectif commun. Ensemble, nous devons être prêts à soutenir l’Arménie dans sa quête de sécurité, de stabilité et de prospérité.

L’avenir de l’Arménie et de sa diaspora repose sur notre capacité à surmonter les divisions et à agir avec détermination face aux défis communs. Nous avons la responsabilité historique de préserver l’État arménien, pierre angulaire de notre identité collective, et de renforcer les liens entre l’Arménie et sa diaspora pour bâtir un futur fondé sur la démocratie, la souveraineté et l’unité.

Que ce soit par un engagement actif pour la sécurité du Syunik, par le soutien aux initiatives démocratiques comme l’intégration de l’Arménie à l’Union européenne, ou par l’instauration de systèmes représentatifs au sein de la diaspora, nous devons agir ensemble pour défendre nos valeurs et nos intérêts.

La prochaine attaque sera probablement notre nouveau Sardarabad, et nous n’aurons d’autre choix que de vaincre. Il est essentiel que chaque Arménien, où qu’il se trouve, se souvienne que la sécurité de l’Arménie est la condition sine qua non de la survie de notre peuple. Ce n’est qu’en étant unis, déterminés et stratégiques que nous pourrons garantir un avenir digne de notre histoire et de nos aspirations.

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