Lilit Dallakyan
Le bureau de presse du Service de renseignement extérieur de la Fédération de Russie a publié un communiqué affirmant que les États-Unis se préparent à lancer une campagne pour discréditer la coopération de l’Arménie avec la Russie, l’Union économique eurasiatique et l’Organisation du Traité de sécurité collective.
D’après le Service de renseignement extérieur, les États-Unis estiment essentiel d’accroître leur “influence directrice” sur l’élite politique arménienne pour inciter l’Arménie, malgré les difficultés inévitables, à accélérer son réalignement vers un modèle de développement occidental.
En conséquence, les autorités américaines auraient reçu pour instruction de faire en sorte que les actions du gouvernement arménien servent les intérêts de l’Occident et que les processus sociopolitiques prennent une orientation anti-russe.
En réaction à cette déclaration, la politologue Lilit Dallakyan observe que “les récits devraient être un peu plus proches de la réalité”. Elle poursuit en affirmant : “Les déclarations de la Russie peuvent être prises au sérieux, comme celles d’Arshak Karapetyan, par exemple, mais personnellement, je ne les prends pas au sérieux. Et si la Russie détient réellement de telles informations, alors c’est tant mieux. En d’autres termes, il apparaît que la Russie elle-même dément les rumeurs selon lesquelles la nouvelle administration américaine se désengagerait de la région”, a-t-elle déclaré dans une interview au Haykakan Zhamanak.
La politologue doute que la Russie fasse ici allusion au président actuel des États-Unis, Joe Biden, car dans trois mois, le 46e président américain cédera sa place à Donald Trump le 20 janvier. Elle rappelle que Trump a toujours affirmé, lors de ses campagnes électorales, qu’il réglerait de nombreux problèmes s’il devenait président.
“Il n’est pas nouveau que, quoi qu’il arrive à la Russie ou dans les relations arméno-russes, la faute soit attribuée à l’Occident. Partout dans le monde, la Russie incite les parties à entrer en conflit. À présent, leur dernière déclaration prouve peut-être leur inquiétude : Trump ne poursuivra pas une politique pro-russe, peu importe combien on tente de le présenter comme un ami de Poutine ; la situation est compliquée pour l’Arménie, etc. La Russie se souvient que Trump a été l’un des premiers à vendre des armes létales à l’Ukraine lorsque des sanctions ont été imposées à la Russie. De plus, il avait déclaré que si la Russie n’acceptait pas son plan concernant le conflit en Ukraine, il armerait l’Ukraine jusqu’à la victoire”, a souligné Dallakyan.
Elle note toutefois qu’il serait imprudent de présumer que Trump suivra la même politique qu’en 2016-2020, et c’est pourquoi la Russie cherche désormais à intensifier les tensions. Selon Dallakyan, la déclaration du Service de renseignement russe, qui prétend que les États-Unis considèrent essentiel de renforcer leur “influence directrice” sur l’élite politique arménienne, pourrait être contredite par le gouvernement arménien lui-même. Elle observe qu’en 30 ans, la Russie s’est habituée à ce que l’Arménie suive ses directives. Maintenant, elle tente de montrer que l’Arménie est sous influence occidentale et n’a aucun pouvoir réel.
“Il est curieux que la Fédération de Russie s’exprime au nom de l’Arménie mais qu’elle ait changé de tactique. Autrefois, elle affirmait que le gouvernement arménien cherchait à se tourner vers l’Ouest ; à présent, elle comprend que sa crédibilité est faible auprès du peuple arménien et essaie de ne pas l’offenser, tout en insinuant clairement que l’Occident impose sa volonté. Si les experts arméniens disent qu’il n’y a pas de directives, Poutine dira le contraire ; pour cela, nous avons besoin d’une réponse officielle de l’Arménie. L’Arménie prend ses décisions en respectant le principe de sa souveraineté. Dans ce contexte, alors que la Russie menace l’Occident, la partie arménienne doit affirmer qu’elle ne subit aucune pression”, estime Dallakyan.
Elle souligne que les approches exclusivement “pro-occidentales” ou “pro-russes” sont artificielles et inacceptables, car l’Arménie doit entretenir des relations équilibrées avec tous les pays. L’Arménie, rappelle-t-elle, est un État indépendant et ne doit pas dépendre d’un seul partenaire. Chercher de nouveaux alliés n’est pas un acte anti-russe.
Dallakyan considère aussi cette déclaration des services secrets russes comme un signal adressé aux dirigeants arméniens. “Nos dirigeants savent bien que la Russie réagit vivement à tout rapprochement avec l’Occident. Lorsque le Premier ministre a signé le document du 9 novembre sous la pression, il connaissait parfaitement la position russe. Toutefois, il devient crucial de rappeler diplomatiquement à la Russie que l’Arménie décide de sa propre politique étrangère. La Fédération de Russie a peut-être des difficultés de perception, mais peut-être qu’ils finiront par comprendre.”
Quant à l’évolution des relations entre l’Arménie, l’Occident et la Russie sous la présidence de Trump, Dallakyan recommande la prudence avant toute analyse hâtive, soulignant que le nouveau président américain est imprévisible. “Un jour, Poutine est son ami, le lendemain, il menace de bombarder le Kremlin. Mais l’influence de chaque institution est forte aux États-Unis ; le président ne peut prendre seul des décisions en matière de politique étrangère. Par exemple, les principaux sénateurs soutiennent l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et le secrétaire d’État de Trump, Pompeo, a fait dans le passé de nombreuses déclarations pro-arméniennes.”
Marie Khachatryan