L’activation de certains acteurs politiques en Arménie, y compris ceux liés au capital russe, ne peut être considérée comme un simple processus interne. La Russie reconnaît de facto son lien avec ce capital lorsqu’elle réagit aux affaires pénales visant ces personnes.

Hovsep Khurshudyan

Factor TV s’est entretenu avec Hovsep Khurshudyan, directeur de l’organisation de la société civile « Citoyen libre ». La discussion s’est principalement concentrée sur l’influence de la Russie en Arménie et sur le soutien de l’Union européenne, à la veille des élections législatives de 2026.

Hovsep Khurshudyan a indiqué que l’aide financière fournie par l’Union européenne vise à prévenir les ingérences hybrides menées contre l’Arménie. Selon lui, il s’agit d’un montant de 12 millions d’euros, destiné notamment à lutter contre la désinformation, la fraude électorale et les financements extérieurs. On observe déjà une intensification des flux financiers en provenance de Russie et de milieux d’affaires liés à la Russie vers la scène politique intérieure arménienne, ce qui constitue une violation de la loi, mais reste difficile à contrôler.

Khurshudyan a rappelé les élections municipales de Gyumri, soulignant que les mécanismes de corruption électorale ont fonctionné dans différents quartiers, aboutissant à la formation d’une coalition politique. Aujourd’hui, la même méthodologie tente d’être appliquée à l’échelle nationale, par la fragmentation de différentes forces, afin que la mise au jour de l’une d’entre elles ne compromette pas l’ensemble de l’alliance. Il considère qu’il s’agit d’une approche systémique caractéristique des ingérences hybrides.

Il a expliqué que l’achat de voix ne se limite pas à la distribution d’argent liquide : il peut également prendre la forme d’emplois bien rémunérés dans les quartiers généraux de campagne, ce qui rend des familles entières politiquement redevables. Il a aussi cité l’exemple de méthodes utilisées en Moldavie, où des jeunes étaient emmenés en Russie pour des voyages et des réceptions, ensuite exploités comme leviers d’influence politique. En Arménie, la diffusion pendant des années d’une sous-culture criminelle à travers les médias a également contribué à affaiblir l’orientation politique de la jeunesse. Dans ce contexte, il a mentionné l’impact de séries télévisées populaires largement regardées dans les régions.

Selon Khurshudyan, la menace hybride en Arménie n’est pas seulement liée aux élections, mais aussi au changement du vecteur de politique étrangère. Il a noté que, bien que l’Arménie ne se soit pas officiellement retirée de l’OTSC ni de l’UEEA, elle a de facto gelé sa coopération, tout en approfondissant ses relations avec l’Occident. Il a souligné que le mécontentement de la Russie ne s’exprime pas toujours par des déclarations officielles ; selon lui, les prises de position d’experts russes, notamment lors de conférences, montrent que Moscou est contrariée d’être exclue des processus logistiques et politiques.

La guerre hybride consiste précisément à remplacer les actions militaires directes par des méthodes politiques, économiques, informationnelles et d’influence par agents. Il a rappelé que l’expérience ukrainienne a montré que cette méthode est bien moins coûteuse pour la Russie qu’une guerre ouverte.

À son avis, l’activation de certains acteurs politiques en Arménie, y compris ceux liés au capital russe, ne peut être interprétée comme un phénomène purement interne. La Russie admet de fait son lien avec ce capital lorsqu’elle réagit aux procédures pénales visant ces personnes. Khurshudyan a insisté sur le fait qu’une force politique peut être interdite non pas sur la base de son orientation idéologique, mais sur la base de faits avérés de financement étranger. Il a précisé que si un parti ou un mouvement est financé par un autre État au détriment de la souveraineté arménienne, cela constitue déjà un problème juridique.

Il a également abordé la question du système bancaire, notant que les banques à capitaux russes continuent d’opérer et de se développer en Arménie, tandis que les banques occidentales ont quitté le marché au fil des années. Selon lui, il s’agit là aussi d’une question systémique qui devrait être étudiée par la Banque centrale.

Évoquant les contradictions dans les déclarations russes, Hovsep Khurshudyan a souligné que, d’un côté, Moscou affirme ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays, tandis que de l’autre, elle mène des actions actives dans de nombreux États. Il a qualifié cela de double standard classique.

Concernant l’Ukraine, il a indiqué que les grands scandales de corruption qui y ont été révélés affaiblissent sérieusement la résilience de l’État et deviennent des instruments de pression extérieure. Selon lui, pour un pays en guerre, la corruption est non seulement une catastrophe morale, mais aussi un désastre sécuritaire.

Aujourd’hui, l’Europe tente de préserver les valeurs sur lesquelles repose l’ordre juridique international : la démocratie, l’État de droit et l’inadmissibilité de l’agression. À son avis, sacrifier ces valeurs pour des intérêts économiques crée un précédent dangereux pour le monde entier. Pour l’Arménie, tous ces processus sont riches d’enseignements : l’État doit renforcer ses institutions, réduire sa dépendance extérieure et défendre clairement sa souveraineté, indépendamment des pressions extérieures.

L’entretien complet :

Partager : Facebook · X · WhatsApp · Telegram

By Raffy