par Jacques Raffy Papazian, président du Mouvement Arménien

La diaspora arménienne se trouve aujourd’hui à un virage déterminant.
Les mois à venir peuvent bousculer la donne, tant en Arménie qu’en France : entre les élections à venir à Erevan, les scrutins municipaux et régionaux en France, et à moyen terme, l’échéance présidentielle française, notre environnement politique change profondément.
Ce contexte exige de la diaspora une vision claire, indépendante et démocratique.

Partout, des initiatives voient le jour, des collectifs se constituent, des appels à l’unité se multiplient. C’est un signe de vitalité et de prise de conscience.
Mais cette énergie, si elle n’est pas structurée par une organisation démocratique réelle, risque de se diluer dans les rivalités, les confusions et les ambitions individuelles.

Le pluralisme ne se décrète pas, il se construit. Et la démocratie ne se résume pas à un slogan : elle suppose la transparence, la responsabilité et la légitimité. Depuis trop longtemps, des structures prétendent parler au nom des Arméniens de France sans consultation, sans élections, sans base démocratique. D’autres, aujourd’hui, se présentent comme des alternatives sans remettre en cause le mode de fonctionnement qu’elles dénoncent.
Changer de nom sans changer de méthode, ce n’est pas réformer : c’est perpétuer le même système.

Le Mouvement Arménien refuse cette logique. Nous croyons qu’il ne peut y avoir de représentation authentique de la diaspora sans élections libres, transparentes et inclusives, ouvertes à toutes les sensibilités.
C’est pourquoi nous proposons un moratoire d’un an, conduit par des personnalités neutres et indépendantes, pour préparer des élections à la proportionnelle, véritables et incontestables.

Nous invitons le CCAF à revoir ses plans.
Qui peut croire qu’il soit possible d’organiser des élections démocratiques avec à peine un quart des sièges concernés, et que ce processus aboutirait à remettre en place les mêmes dirigeants, sans véritable passage par les urnes ?
Un tel scénario ne ferait que creuser la défiance.
Et dans le meilleur des cas, en trois mois, le nombre de votants serait trop faible pour conférer la moindre crédibilité à une telle démarche.
C’est pourquoi le moratoire n’est pas une manœuvre dilatoire : c’est la seule voie responsable et réaliste pour bâtir une représentation véritablement démocratique.

Notre Mouvement s’est construit sur des fondations claires :
Une Arménie libre, souveraine, démocratique et tournée vers l’Europe ;
Une diaspora actrice, lucide et critique, au service de la souveraineté et du développement de notre patrie.

Le Mouvement Arménien représente les forces démocratiques en France, et cela a toujours été le cas depuis sa fondation — bien loin de l’image que certains ont voulu donner de nous.
Notre engagement a toujours reposé sur des valeurs de pluralisme, de liberté et de responsabilité, avec la conviction que la démocratie est le seul chemin durable pour la cause arménienne.

Nos orientations 2024–2027, adoptées par le conseil d’administration, traduisent une ligne politique cohérente et hiérarchisée :
• Soutenir les réformes démocratiques et le renforcement de l’État arménien et de ses institutions, condition essentielle à la stabilité et à la souveraineté du pays ;
• Défendre la sécurité du Syunik et la stabilité régionale, pilier de la survie de l’État arménien ;

• Œuvrer à l’intégration de l’Arménie à l’Union européenne, par le dialogue, la diplomatie et l’adoption progressive des standards européens ;

• Faciliter le retour des Arméniens d’Artsakh sur leurs terres ancestrales, dans un cadre sûr et durable ;

• Refuser tout système électoral communautaire hybride, imposé sans consultation, et défendre une démocratie directe fondée sur le suffrage ;

• Renforcer les liens avec les réseaux démocratiques occidentaux, ONG, think tanks et institutions, afin d’ancrer l’Arménie dans son environnement géopolitique naturel ;

• Maintenir un dialogue critique mais constructif avec Erevan, pour accompagner la transition démocratique et défendre la souveraineté nationale.

Le Premier ministre Nikol Pachinian, en déclarant à Paris qu’il représentait l’État arménien mais non la diaspora, a mis chacun face à sa responsabilité.
Certains intellectuels ont gesticulé, mais en réalité, ce n’est pas une rupture : c’est la continuité logique des précédents gouvernements et de leur lien avec la diaspora.
Nous avons l’habitude d’être seuls. Et notre culture française nous pousse naturellement à l’indépendance : à penser par nous-mêmes, à agir sans attendre d’instructions.
Il ne faut donc pas se méprendre : Erevan ne peut imposer personne, et d’ailleurs, ils savent qu’ils ne le peuvent pas.
Arrêtons de prétendre que la division vient de là-bas : elle émane de nous-mêmes, de notre manque de débat, de confrontation d’idées, et surtout de l’absence de plateformes d’échange démocratique, aujourd’hui inexistantes.

Depuis 2021, le Mouvement Arménien agit dans ce sens. Nous avons contribué à la pétition des 60 000 signataires en faveur de l’intégration européenne. Nous avons soutenu l’idée de l’ouverture d’un consulat français au Syunik, démarche que nous avons portée auprès de plusieurs sénateurs français, afin de renforcer la présence diplomatique et la protection consulaire dans cette région stratégique.
Nous avons défendu l’idée d’une coopération militaire française pour garantir la sécurité du territoire arménien.
Nous avons construit un média indépendant, Arménie Info, pour relayer une information libre, crédible et responsable, et dénoncé les alliances russo-turques qui ont piégé l’Arménie dans une dépendance mortifère.

Tous ces sujets paraissaient utopiques — l’Arménie tournée vers l’Europe, l’ouverture d’un consulat au Syunik, la coopération militaire française, ou encore l’intérêt des États-Unis envers l’Arménie — jusqu’à ce qu’ils deviennent des réalités.
Et c’est cela, l’idée de la diaspora : faire émerger des idées qui puissent aboutir, même quand personne n’y croit possible.

La diaspora ne doit plus être un instrument politique, ni une chambre d’écho de quelque pouvoir que ce soit. Elle doit redevenir ce qu’elle a toujours su être dans les grands moments de notre histoire : une force morale, intellectuelle et civique, capable d’influencer, de protéger et de construire.

Car tout commence par une idée, souvent utopiste, parfois raillée, mais portée avec conviction.
C’est ainsi que se construisent les tournants de l’histoire.
Et si certains doutent encore de la capacité de la diaspora à proposer, à anticiper ou à innover, qu’ils regardent le chemin déjà parcouru : tout ce que beaucoup jugeaient impossible il y a encore peu est aujourd’hui en marche.

Je suis en désaccord avec Ara Toranian, tant sur l’organisation actuelle de la diaspora que sur sa ligne politique.
Mais je reconnais qu’il accepte le débat.
Il lui revient désormais — comme à ceux qui l’entourent — d’aller plus loin : de transformer cette ouverture en réformes concrètes, capables de refonder durablement la représentation de la diaspora sur des bases démocratiques, inclusives et réelles.

La démocratie n’est pas un mot creux.
La démocratie, c’est que chacun soit soumis au vote devant la diaspora.
C’est reconnaître que les associations ne sont pas au-dessus des individus.
C’est permettre à chaque votant de mesurer le poids réel de la ligne ou du candidat qu’il a soutenu.
Sans cela, tout projet de représentation est voué à l’échec.

Nous avons déjà posé les bases. Nous continuerons à construire.
Parce qu’il ne peut y avoir d’unité sans justice, ni de légitimité sans vote.

La démocratie, sinon rien.

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