En Arménie, les grandes questions nationales ne sont pas affrontées mais neutralisées. L’exemple récent de l’effacement du mont Ararat des tampons de passeports en est l’illustration parfaite.
Plutôt que d’assumer la portée d’un tel choix, le pouvoir a laissé ce sujet être récupéré par le clan de Serzh Sargsyan. Or, cette même opposition avait déjà effacé l’Ararat des maillots de football lors de sa tentative de normalisation avec la Turquie, à l’époque de la « diplomatie du football ». En confiant la polémique à une opposition décrédibilisée et inaudible, la majorité obtient exactement ce qu’elle souhaite : la neutralisation d’un débat pourtant essentiel.
Dans ce jeu politique, majorité et opposition se servent mutuellement. Les uns pour se protéger, les autres pour exister. Résultat : les thèmes de fond disparaissent de l’espace public, et la société arménienne se retrouve privée de débats vitaux.
Le mont Ararat n’est pas un simple dessin qu’on imprime sur un tampon ou un maillot. C’est le symbole de la chrétienté arménienne, de la descendance de Noé, et de l’identité historique d’un peuple. Son effacement partiel pourrait un jour mener à sa suppression des emblèmes nationaux. Ce serait alors l’effacement des idéologies qui fondent l’Arménie : celle de Hayk, père fondateur de la nation, et celle des valeurs chrétiennes qui ont façonné son histoire.
L’exemple français montre à quel point les symboles comptent. Sous le mandat d’Emmanuel Macron, la France a modifié le bleu de son drapeau pour un bleu plus profond, dit « bleu napoléonien ». Un choix symbolique qui traduisait la volonté de renouer avec une histoire et un imaginaire collectif.
L’Arménie, au contraire, semble glisser vers une déconstruction de ses repères symboliques. L’effacement de l’Ararat ne doit pas être vu comme un simple détail administratif, mais comme un avertissement. Car une nation qui renonce à ses symboles renonce aussi à sa mémoire et à ses idéaux.
Que ce soit la majorité, l’opposition ou même l’Église, tous jouent aujourd’hui à un jeu dangereux en servant d’autres intérêts que ceux des Arméniens. Derrière l’effacement de l’Ararat se dessine la volonté d’universaliser une idéologie qui n’est pas la nôtre. Mais le sursaut viendra de la population : en plus de 5 000 ans d’existence, personne n’a réussi à effacer l’identité arménienne. Les responsables politiques ou religieux passeront, les empires ennemis s’écrouleront, mais l’idéologie arménienne demeurera. Ce n’est pas une simple conviction, c’est un fait : les siècles ont passé, et rien n’a changé. Alors sortons du pessimisme, car il n’est qu’un instrument entre les mains de l’ennemi.