Une enquête conjointe de l’OCCRP, de Buro Media (journalistes biélorusses en exil) et du média arménien Hetq révèle que l’Azerbaïdjan a utilisé des armes fournies par la Biélorussie pour abattre des drones arméniens pendant la guerre de 2020 au Haut-Karabakh.
Des alliés devenus fournisseurs de l’ennemi
Selon des documents internes de la société biélorusse Tetraedr, les systèmes de défense aérienne Pechora-2TM modernisés ont été « activement utilisés » contre l’Arménie. Ces systèmes auraient permis à l’Azerbaïdjan d’abattre 11 drones arméniens au cours du conflit.
Cette révélation est particulièrement sensible, car l’Arménie et la Biélorussie sont toutes deux membres de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), censée garantir une alliance militaire entre ses membres.
Des contrats opaques et des intermédiaires offshore
L’enquête met en lumière au moins 16 contrats conclus entre Tetraedr et des partenaires azerbaïdjanais entre 2006 et 2020. Deux d’entre eux, d’une valeur de 13 millions de dollars, concernaient l’entretien et la modernisation des Pechora-2TM, peu après la visite du ministre de la Défense azerbaïdjanais Zakir Hasanov à Minsk en 2017.
Fait notable : dans neuf de ces contrats, l’interlocuteur n’était pas directement le ministère de la Défense azerbaïdjanais, mais une société offshore enregistrée aux Îles Vierges britanniques, N.P.O. Navigation Systems. Des documents des Pandora Papers révèlent qu’elle était liée à deux hommes d’affaires azerbaïdjanais influents, Fuad Seyidaliyev et Arif Rahimov, tous deux associés à la société militaire Azairtechservice (aujourd’hui Esis Technologies).
Une alliance fragilisée
Pour Erevan, ces révélations confirment une trahison : un allié supposé, membre de la même organisation de défense collective, a armé l’ennemi au moment le plus critique. Cette situation fragilise encore davantage la confiance envers le cadre sécuritaire post-soviétique.
Le président biélorusse Alexandre Loukachenko n’avait d’ailleurs pas caché sa sympathie pour Bakou, saluant la guerre de 2020 comme une « guerre de libération ». En réponse, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian avait annoncé qu’il ne se rendrait jamais en Biélorussie tant que Loukachenko resterait au pouvoir.
Des risques de corruption
Si l’utilisation de sociétés intermédiaires dans le commerce des armes n’est pas illégale, les experts soulignent que ce manque de transparence multiplie les risques de corruption et de détournements.
Comme le rappelle Pieter Wezeman, chercheur au Stockholm International Peace Research Institute :
« Plus il y a de couches de secret et d’opacité dans le commerce des armes, plus grandes sont les opportunités pour les responsables corrompus d’en tirer un gain personnel. »
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En conclusion
Ces documents fuités démontrent que l’Azerbaïdjan a pu renforcer considérablement sa capacité militaire grâce au soutien discret de la Biélorussie, au détriment de son allié arménien.
Pour l’Arménie, cette affaire est un rappel urgent de la nécessité de redéfinir sa stratégie de défense et de miser sur des partenariats fiables, plutôt que de compter sur des alliances qui se révèlent fragiles et trompeuses.
Source : OCCRP, Buro Media, Hetq