La mort d’un enfant ébranle la société dans son ensemble, déclenchant une brève vague de colère, de peur et de chagrin qui s’estompe presque aussi rapidement qu’elle est apparue. Nous considérons chaque cas comme une aberration, refusant d’examiner ses causes profondes, puis nous retournons à la routine jusqu’à ce que la prochaine tragédie se produise. Pourtant, derrière chaque gros titre se cache la même histoire : un enfant non protégé, un système de protection de l’État inefficace, un environnement social indifférent et une culture qui normalise la violence.
Le code de la famille arménien et la loi sur les droits des enfants interdisent clairement la violence contre les enfants. Pourtant, nous continuons à être témoins de harcèlement à l’école, de harcèlement en ligne, de pression psychologique et d’humiliation au sein des familles, ainsi que d’une acceptation généralisée de la punition corporelle. Les espaces publics offrent au moins une chance d’être témoins ; la famille, cependant, reste une institution fermée, où la violence est facilement dissimulée jusqu’à ce que ses conséquences deviennent insupportables. C’est précisément ici que les fissures dans le système de protection de l’enfance de l’État sont les plus visibles.
En novembre, dans le village de Tsapatagh, dans la région orientale de Gegharkunik, le meurtre d’un enfant de trois ans par son père a choqué la nation. L’enfant a été retrouvé avec de graves blessures à la tête et au corps.
Avant cela, en 2020, un tollé public a suivi un autre cas horrible dans la communauté nord de Khashtarak, où un garçon de six ans est mort après avoir été brutalement battu par des membres de sa famille.
En 2019, à Hartagyugh, dans la région de Lori, une mère a tué sa fille de sept ans par suffocation.
En 2018, à Armavir, un père a battu son jeune enfant à mort.
Ces histoires révèlent le côté le plus sombre d’un échec systémique : lorsqu’un enfant perd non seulement sa protection mais aussi son droit à la vie. Mais de telles tragédies ne surgissent pas de nulle part. La violence contre les enfants est rarement un acte isolé ; c’est un schéma, un processus continu qui peut finalement mener à la mort. Au cœur de ce problème se trouve un problème culturel : la perception de l’enfant comme propriété parentale plutôt que comme un être humain autonome.
La phrase « C’est mon enfant, je l’élève comme je l’entends » est encore utilisée dans toute l’Arménie pour justifier la punition corporelle et d’autres pratiques nuisibles. Cet état d’esprit perpétue une culture de la violence. Et c’est ici que le rôle de l’État devient central : non seulement en réponse à la violence, mais aussi en la prévenant par des institutions solides, des responsabilités claires et une expertise réelle. Les lois arméniennes ne sont-elles rien de plus que des déclarations sur papier, dépourvues d’application et de mécanismes efficaces ? Cette question devient de plus en plus pressante à chaque tragédie.
L’Arménie s’est engagée, à travers sa législation nationale et des traités internationaux — y compris la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection de l’exploitation sexuelle et des abus sexuels — à protéger les droits des enfants. Pourtant, dans la pratique, le système reste faible, fragmenté et incapable d’arrêter les abus récurrents.
Un des principaux défis de l’Arménie est le manque de données fiables et unifiées sur la violence à l’égard des enfants. Il n’existe pas de base de données complète qui suit les cas, leurs types, causes, facteurs de risque ou résultats. Les rapports sont éparpillés dans les postes de police, les écoles, les établissements de santé et les services sociaux — mais ils n’ont jamais été consolidés en un seul système analytique.
Ce vide informationnel limite sévèrement la capacité du gouvernement à concevoir des politiques ciblées ou des mécanismes de prévention efficaces. Sans savoir où la violence est la plus répandue, quels types augmentent, quelles familles sont les plus à risque, ou quelles interventions fonctionnent réellement, l’élaboration des politiques devient réactive plutôt que préventive. Les décisions sont prises sur la base d’hypothèses plutôt que de preuves.
Une politique efficace et durable n’est possible que si elle repose sur des données complètes, transparentes et continues. Sans cela, le système de protection de l’enfance de l’Arménie continue de fonctionner à l’aveugle — ne réagissant qu’après que des tragédies se soient produites, plutôt que de les prévenir.
De plus, le système de protection de l’enfance à trois niveaux de l’Arménie — qui comprend des organes de tutelle et de garde dans les communautés ; des unités de protection de l’enfance au niveau régional et à Yerevan ; et la Commission nationale pour la protection des droits de l’enfant sous le ministère du Travail et des Affaires sociales — souffre de profondes faiblesses institutionnelles qui sapent l’efficacité de l’État.
En effet, les organes de tutelle et de garde — la première ligne de protection de l’enfance — détiennent de larges responsabilités légales mais fonctionnent avec un personnel non professionnel et souvent bénévole. Un rapport de 2017 du Défenseur des droits de l’homme de l’Arménie a identifié de graves lacunes, y compris des lacunes législatives et un manque d’expertise. Sept ans plus tard, le problème central reste inchangé : ces organes fonctionnent toujours sur une base volontaire, avec une formation incohérente et une compréhension limitée des « meilleurs intérêts de l’enfant ». Cela signifie que des décisions ayant des conséquences majeures pour les enfants sont souvent prises sans compétence professionnelle.
Les défenseurs des droits de l’homme ont répété ces préoccupations, plaçant un espoir considérable dans le nouveau paquet législatif visant à réformer le système.
Les récentes modifications visent à garantir la protection réelle, et non seulement déclarative, des meilleurs intérêts de l’enfant. Selon les nouvelles lois, les Commissions de tutelle et de garde ne fonctionneront plus sur une base volontaire. Au lieu de cela, des travailleurs sociaux spécialisés et formés avec des responsabilités claires et une préparation professionnelle obligatoire prendront le relais. Pour la première fois, la protection de l’enfance devrait devenir un service d’État professionnel plutôt qu’un devoir administratif volontaire.
Les réformes introduisent également un modèle de coopération multisectorielle, obligeant les systèmes éducatifs, de santé, sociaux et d’application de la loi à travailler ensemble, plutôt qu’en parallèle, avec une approche centrée sur l’enfant et axée sur la protection.
Ces réformes sont significatives, longtemps attendues et prometteuses — mais elles n’existent actuellement que sur le papier. Combien de temps faudra-t-il à l’État pour les mettre pleinement en œuvre reste incertain. Pourtant, les tragédies que nous sommes témoins — et les histoires silencieuses d’abus qui ne font jamais la une — sont des rappels urgents que l’Arménie ne peut se permettre de nouveaux retards. Chaque enfant non protégé, chaque mort évitable, est une alarme. La question est de savoir combien d’alarmes nous avons besoin avant que de réels changements n’atteignent la vie des enfants qui dépendent le plus de nous.
— Arménie Info
