Peut-on raisonnablement renoncer à tirer le moindre enseignement politique de l’incident qui a conduit un co-président du CCAF, censé représenter les Français d’origine arménienne, à injurier le Premier ministre de la République d’Arménie et stigmatiser son peuple coupable d’avoir élu un «inculte» face au Président de la République française, dans l’enceinte même de l’Elysée?
Assurément non, de notre point de vue.
C’est pourtant ce que Mourad Papazian, auteur des propos incriminés, semble vouloir considérer dans un «message» récemment diffusé sur Armenews en réponse à la publication d’une lettre ouverte désapprouvant son comportement et appelant à l’adoption d’une charte de conduite du CCAF qui «contraindrait» les responsables de notre communauté, au respect de la souveraineté de l’Arménie, de ses institutions comme de ses représentants démocratiquement élus.
Tout en y voyant une «attaque personnelle», il concède avoir tenu «des propos blessants» dans un contexte de «nervosité» partagée, sans renier ses convictions (que personne ne lui a demandé d’abandonner) pour essentiellement livrer au lecteur le panégyrique de son activité militante durant les quarante dernières années qui, de son point de vue, suffirait à excuser tous ses écarts de conduite.
Il se déclare néanmoins disposé à en débattre publiquement, et nous aurions tort de n’en pas saisir l’occasion, tant le mal est profond.
L’esprit féodal auquel renvoie la contestation de la légitimité du Premier ministre arménien par le chef d’une organisation politique diasporique, nous rappelle combien la culture de l’intérêt supérieur de l’Etat nous fait défaut, cette carence étant mère de toutes nos faiblesses.
Seul un Etat fort sera en mesure de pérenniser notre nation, d’assurer sa sécurité et l’intégrité territoriale de l’Arménie dont la souveraineté dépendra de notre capacité à tous, diaspora comprise, à penser par et pour nous-mêmes.
Si la Diaspora est parfaitement légitime à s’imaginer une identité, voire un destin parallèle, elle perdrait son âme et hypothéquerait à court terme son avenir en se détournant de l’objectif autour duquel chacun devrait se réunir : la construction d’un Etat arménien indépendant et souverain.
Il en découle l’énonciation de quelques règles, sinon principes à respecter, peu importe qu’ils soient gravés dans le marbre, sur le fronton de nos églises ou couchés dans une charte, pourvu qu’ils ne quittent jamais nos esprits ni la gouvernance de nos institutions représentatives :
1. La mobilisation de toutes nos énergies et notre solidarité au renforcement de la souveraineté de l’Arménie. L’unité de notre communauté doit s’inscrire en responsabilité dans la réalisation de cet objectif consensuel et non à son détriment. Nous ne saurions, au nom de l’incantation unitaire, rester sans réaction devant des initiatives destinées ou ayant pour effet d’affaiblir l’Arménie, y compris celles venant de nos rangs.
2. Le respect et le renforcement de l’Etat arménien, seul garant de la pérennité de notre nation, dont l’absence nous a tant fait défaut dans notre histoire, ce qui impose le respect de ses institutions, comme de ses représentants, a fortiori lorsqu’ils sont issus d’élections libres, non entachées par la fraude ou le crime.
Ce principe n’induit aucun abandon de la liberté d’expression ni n’empêche la critique, légitime ou non, de la politique conduite par les autorités arméniennes, par chacun des membres appartenant au CCAF. Mais dès lors que ce membre y occupe des fonctions de représentation, s’impose à lui un nécessaire devoir de réserve lequel n’est que la contrepartie du respect de la pluralité des opinions de ses membres comme du mandat qu’il a reçu d’eux.
On ne saurait, dans ces circonstances, accepter qu’un co-président du CCAF, quel que puisse être le différend l’opposant au représentant de l’Etat arménien, l’injurie devant le chef de l’Etat français ou refuse de se désolidariser de l’agression dont son convoi a été victime, par des membres de notre communauté appartenant à sa famille politique.
Un co-président ne devrait pas profiter de l’invitation qui lui est faite, es qualité, par une personnalité politique française, de l’accompagner en Arménie, pour dénigrer le gouvernement arménien et le présenter comme «infréquentable» en refusant de participer à tout rendez-vous ou invitation émanant des autorités. Cette attitude conduit à l’affaiblissement de l’Arménie mais trahit tout autant le mandat qu’il détient des associations du CCAF.
Un co-président ne respecterait ni sa fonction ni son mandat en décidant de participer à une manifestation organisée à Erevan, en soutien des forces de l’ancien régime, pour exiger le renversement du gouvernement légitime par la rue, au risque d’associer à sa radicalité l’ensemble de la communauté arménienne de France.
3. Il résulte de ce qui précède que ce devoir de réserve s’impose tout particulièrement à un co-président du CCAF qui cumulerait ses fonctions avec celles de président en exercice d’une organisation politique arménienne, notamment si elle exerce une activité partisane en Arménie. A défaut de cette impérieuse vigilance, le CCAF deviendra l’otage d’un inévitable conflit d’intérêt au préjudice de l’ensemble de la communauté arménienne de France, involontairement associée à la ligne politique de son «co-président», et ses acquis incontestables à ce jour s’en verraient démonétisés. Si la fonction honore, elle oblige tout autant. Celui qui veut la Rose, doit en accepter les épines.
Alexandre Armen Couyoumdjian (Paris), Philippe Sahag Sukiasyan (Paris), René Dzagoyan (Paris), Colonel Hovsep-Gilbert Minassian (Erevan), Pascal Chamassian (Marseille), Gérard Tcholakian (Paris), Pascale Gostanian (Lyon), Gohar Galustian (Montpellier), Haroutioun Khatchadourian (Paris), Julien Harounyan (Marseille), Naïra Zoroyan (Montpellier), Jean-Simon Azilazian (Marseille), Edmond Yanékian (Paris), Anna Jambon (Lyon), Grégoire Atamian (Grenoble), Maxime Sisvalian (Marseille), Grégoire Minassian (Martigues), Tigran Ohanyan (Marseille), Maryse Tchakmichian-Grigorian (Toulon), Frédéric Zamantian (Marseille), Robert Azilazian (Marseille), Gabriel Loupignan (Paris), Raffi Delanian (Marseille), Gérard Grigorian (Toulon), Paul Chemedekian (Lyon), Hayarpi Ohanyan (Marseille), Lévon Khozian (Marseille), Saro Mardirian (Paris).